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LA TOUR DE LA LANTERNE.

À la suite de cette aventure, Rigolert Baude avait laissé l’armée ; il était venu s’enfermer aux Gerbies et ne s’était pas marié. Plein d’entrain et de bonne humeur, il savait se faire aimer et obéir des domestiques et des ouvriers qui travaillaient sous ses ordres.

Tante Minette, de son vrai nom Mme Minhet, a peine agée de quarante ans, était la plus jeune des enfants de M. Baude.

Grande, élancée, au teint mat, elle cachait sous des dehors délicats et distingués, une santé de fer et une énergie peu commune. Comme elle portail toujours le deuil de son mari, ces vêtements sombres donnaient à sa physionomie un charme indéfinissable et faisaient valoir les restes d’une grande beauté, qui avait concouru à édifier le triste roman de sa jeunesse.

Mariée très jeune, et en dépit de ses parents qui voyaient plus loin qu’elle, à un peintre de talent, brave garçon, mais absolument bohème, qu’avait séduit sa figure de madone, elle n’avait connu dans le mariage que déboires et privations.

Elle traîna à Paris, en Italie, en Allemagne, partout enfin où le caprice du peintre la conduisit, une vie pénible et besogneuse ; et lorsque son mari mourut à la peine, elle ramassa ses toiles, en vendit le plus grand nombre et vint piquer les autres aux murs de la salle des Gerbies, demandant, en échange de ces petits chefs-d’œuvre, une place inamovible au foyer paternel. Grand-papa ouvrit bien grands les bras à cette charmante femme qui apporta, dans ce coin perdu, un peu de goût et de sens artistique, seul pécule qu’elle eût ramassé dans ses dix-huit ans de vie agitée.

Elle ne sortait que rarement des Gerbies, aimant cette solitude où, du moins, elle pouvait manger et dormir sans la crainte des histoires d’huissiers.

Les Gerbies, avec grand-papa Baude, Rigobert et tante Minette, eussent été le paradis, sans un quatrième personnage qui, fort heureusement, ne les habitait pas toujours. Cet éventuel habitant était Jean Baude-Isart, l’ainé de la famille.

Il avait fait son droit, s’était marié de bonne heure avec une