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LIETTE MA CHÉRIE.

n’avait perdu ni son allure, ni ses coutumes d’autrefois. Les tramways ne sillonnaient pas alors les rues étroites où coulaient tout tranquillement dans les ruisseaux les eaux noires ou bigarrées des ménagères et des teinturiers.

On voisinait à cette époque, parce qu’on vivait plus simplement entre soi ; la morgue sotte du bourgeois riche n’avait pas encore trop déchaîné l’envie et la rancune du commerçant et du peuple.

Et comme on se parlait volontiers, on s’intéressait les uns aux autres. Après le dîner, en la belle saison, lorsque la grosse horloge sonnait la demie de six heures, pour faire la digestion ou pour échanger les nouvelles et les propos du jour, les petits commerçants se mettaient assez communément sur le pas de leur porte.

C’est ainsi que vers la fin d’une radieuse journée de mars, quelques bons citoyens s’interpellaient dans la rue du Pourtour.

« Dites donc ! criait Reydire, le chapelier, au coiffeur Lesombre, vous savez la nouvelle ?

— Quelle nouvelle ?

— Mme Baude vient d’avoir une petite fille ! L’entrée en ville de la fillette a eu lieu aujourd’hui vers midi.

— Ce doit être une bien grande joie chez cette bonne Mme Baude, reprit le bottier Berteau. Depuis si longtemps qu’ils attendent un petit enfant.

— Ce n’est pas, en effet, une primeur, dit Lesombre. Voilà bien cinq ans que Mile Alice, leur fille, a épousé M. Verlet ; mais il est fâcheux que l’événement arrive pendant l’absence du jeune papa.

— On ne peut pas avoir tous les bonheurs à la fois, monsieur Lesombre, dit Reydire ; et à part ce contretemps, la petite Verlet a bien des chances à sa naissance. Songez donc que notre maire, M. Leypeumal, doit être son parrain !

— Vous me paraissez joliment bien informé, dit Berteau. De qui tenez-vous cette nouvelle ?

— De Mme Reydire, elle-même, à laquelle leur vieille bonne l’a contée ce matin.