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DÉPART POUR LES GERBIES.

le vin étant d’un prix dérisoire, il était courant de ne pas mettre d’eau dans son verre, habitude déplorable pour bien des gens. On voyait souvent des hommes du meilleur monde se donner le singulier plaisir, le soir, après un bon festin, de confondre leur lit avec le plancher, et passer la nuit sous la table au milieu des domestiques qui trouvaient, eux aussi, tout naturel de suivre un si bel exemple de tempérance.

De nos jours le prix des denrées et les mœurs se sont sensiblement modifiés !… il faut en convenir. Unc belle aisance est nécessaire aujourd’hui pour élever une demi-douzaine d’enfants ; et il est devenu utile, de toutes les manières, de mettre de l’eau dans son vin : ceux qui résistent à ce dernier conseil ont tout lieu de s’en repentir à bref délai, car liquides et gens n’ont guère gagné en qualité.

À cette époque, relativement peu lointaine, il n’était pas encore question du chemin de fer aux confortables wagons pour voyager. C’étaient des espèces de lourds et massifs véhicules, appelés « diligences », divisés en compartiments, et qui, sur les grandes routes, emportés au galop de quatre ou cinq forts chevaux, roulaiont les voyageurs.

Voiturés ainsi les uns sur les autres, sous le rapport de la commodité et de la vitesse, ils avaient à supporter bien des désagréments ; mais ce bon public, qui n’avait pas expérimenté encore les trains rapides, les sleeping-cars et les automobiles, jouissait de certains charmes que nous ignorons.

Si la poussière des routes était aveuglante, en plein été, lorsqu’elle ouatait les chemins, le plaisir des yeux y gagnait dans les autres saisons. On pouvait jouir du paysage dans les pays accidentés, au bord de la mer, sur le revers des montagnes, ou en suivant les méandres d’un fleuve ou d’une rivière.

Les distractions plus calmes, plus reposantes de nes pères, moins pressés que nous d’arriver au but, altéraient moins le système nerveux. On prenait son temps pour tout, pour regarder et aussi pour manger, dans les auberges de relais, l’excellent plat qui, suivant l’endroit, faisait la réputation de la maison ouverte