Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
LIETTE N’AVANCE PAS EN SAGESSE.

Mme Baude, son mari et M. Leypeumal, avaient bien essayé, par quelques sermons, de raisonner ce jeune esprit entreprenant, mais en vain.

Mme Delfossy, qui avait de l’expérience, prétendait que les enfants ont deux oreilles pour que l’une reçoive le son et pour que l’autre le perde. Elle assurait aussi que les plus longs, comme les plus beaux discours, ne valent pas une petite correction bien appliquée, parce que, prétendait-elle encore, la mémoire des enfants retient beaucoup mieux ce dernier système que le premier. Les sages remontrances tombent dans leurs oreilles comme une pierre dans l’eau : un peu de bruit, un petit rond, et puis c’est tout.

Mme Delfossy devait avoir raison, car en dépit des sages homélies qui ne lui furent pas épargnées, les diableries et les exercices d’acrobatie de Liette finirent par devenir inquiétants.

Ceux-ci consistaient, par exemple, à descendre l’escalier à cheval sur la rampe ou à se tenir debout sur une fenêtre ouverte, donnant du 1er étage dans la cour, pour montrer à Botte ou à Marie quelle adroite équilibriste elle faisait ! D’autrefois, elle grimpait comme son chat « Munito » sur un gros poirier stérile, seul vestige d’un ancien jardinet, converti en cour, et qui s’adossait au mur mitoyen de M. Maurel. De ce poirier elle arrivait à la crête du mur, et là protégée par des branches vieilles et touffues, elle esquivait, en faisant la sourde oreille, les appels au livre de lecture ou les réprimandes que ses méfaits devaient lui attirer. Elle attendait patiemment, comme un sauvage à l’affût, le retour du Lycée de ses petits amis.

Oui, Mme Baude était beaucoup trop indulgente ; oui, M. Baude, en la circonstance, soutenait trop sa femme.

Oui, M. Leypeumal n’entendait rien à l’éducation d’une petite fille.

M. et Mme Delfossy le constataient perpétuellement. Ils étaient âgés l’un et l’autre, pas très patients peut-être, bien que très disposés à la gâterie ; mais leurs gâteries, qui consistaient à bourrer Liette de friandises, ne ressemblaient pas à celles de leur fille. Ils étaient surtout du vieux système qui voulait les enfants très sages,