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LEÇONS ET PROMENADES.

trompes, Mulot n’est pas libre et il n’est pas heureux ; je t’assure, moi, qu’il doit être encore esclave. J’en suis certaine, car depuis hier je l’ai vu travailler, sans se reposer, donner tout son vin à ses enfants et ne boire, lui, que de l’eau… Penses-tu, parrain, que Mulot aimerait le vin de Bordeaux ?

— Je te crois ! mais ce vin est trop cher pour un pauvre ouvrier comme lui.

— C’est bien ce que je supposais. Mais… dis-moi, parrain, si nous lui faisions la surprise de lui en donner une bouteille ? Oh ! une toute petite bouteille, haute comme ça, pour lui tout seul, dis ? »

M. Leypeumal était un très brave homme. Les charmants sentiments qu’il lut dans le cœur de Liette l’émurent jusqu’aux larmes.

Il s’arrêta ; et regardant l’enfant avec attendrissement, il lui promit, comme on promet à une grande jeune fille, que son désir serait satisfait ce soir même en rentrant.

Liette savait remercier, non pas encore avec des mots bien trouvés, mais avec des gestes pleins d’âme. Elle tira son parrain par la manche et l’embrassa de tout son cœur.

Après cette bonne et réconfortante promesse, ils continuèrent leur promenade.

Laissant les remparts, ils descendirent par la porte Neuve et passèrent devant les grands fossés du bastion. Elle était belle, cette journée d’octobre ! C’était un jeudi, jour de sortie des élèves du Lycée, et par conséquent de repos pour les professeurs. Liette qui, au contraire de son parrain, avait la vue longue, aperçut venant vers eux, là-bas, au loin sur la route de Saint-Maurice, un groupe de trois prɔmeneurs.

Elle reconnut M. Moutard, le professeur de philosophie, le banquier, M. Paugène, et M. Metremoy, l’architecte de la ville.

Ces graves personnages étaient la terreur de Liette. Quand elle les voyait poindre à la librairie, vite elle se sauvait, parce que leurs conversations, trop élevées pour son petit entendement, lui déplaisaient beaucoup.

« Allons bon ! pensa-t-elle, voilà qu’ils vont encore dire des