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LEÇONS ET PROMENADES.

cognée du père. Ah ! il ne les laissait pas chômer. Nom de nom ! Il fallait que tous travaillassent comme lui. L’ainé avait peut-être bien onze ans et le plus jeune trois ou quatre ans à peine. Celui-ci était assis sur les vêtements enlevés dont il avait la garde, et déjà sérieux avec l’idée de sa responsabilité, il ne bronchait pas.

Deux autres, âgés de six ou sept ans, ramassaient les coins, quand ils sautaient dans le ruisseau. Il y avait parfois sept ou huit coins enfoncés ensemble dans un tronc d’arbre, avant que le bois s’écartât de quelques centimètres, et il fallait cogner dur, han !… han !… han !… avant que les efforts parvinssent à l’ouvrir. Dès que le bois craquait, les gamins se précipitaient sur les coins jetés de tous côtés. Ils les réunissaient et les offraient de nouveau à la cognée, qui reprenait son envolée de plus belle.

Les aînés, plus forts, rangeaient les bûches déjà faites et préparaient les troncs, en les roulant à proximité du père.

Lui, le pauvre crépu, ne perdait pas une minute. Il ne s’arrêtait de geindre que pour crier sur ses enfants.

« Ici, Pierre, grand feignant, que fais-tu là à regarder ? Ramasse ce foret dans le ruisseau. Et toi, Ulysse, dis-moi un peu, où portes-tu ce bois ? Approche, animal, faut pas que j’aille le chercher à Marans, peut-être ? »

Apres ces successions d’efforts et de cris, le pauvre homme, qui n’avait pas volé « la goutte à boire », s’approchait de la bouteille ; mais, avant de prendre sa rasade, il n’oubliait pas ses mioches, et c’était là le côté touchant du manège. Il prenait le plus jeune sur ses genoux, lui faisait boire une gorgée, une seule, pas plus ! Les autres en avaient ensuite deux ou trois, suivant l’age ; puis, lui buvait ce qui restait, quand par hasard il y en avait encore.

La bouteille, en raison de tant de partages, était promptement épuisée ; alors, l’aîné allait la remplir à la fontaine pour la prochaine tournée. Et voilà justement ce qui ne plaisait plus à Liette. Aussi, pour savoir ce qu’elle devait au juste en penser, résolut-elle de questionner son parrain, lorsqu’il viendrait la chercher dans l’après-midi pour faire avec lui une petite promenade hygiénique du côté du Mail, comme il en avait l’habitude.