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GRANDS AMIS ET PETITS CAMARADES.

Il était dix heures. Les dix coups de l’heure fatale avaient sonné à la grosse horloge.

La sentinelle ne badinait pas. On parlementa, au grand bonheur des gamins, mais au grand effroi de la fillette, qui craignait bien, malgré le beau temps, d’être obligée de passer la nuit à la belle étoile, en compagnie des grenouilles dont elle entendait avec épouvante les coassements stridents.

Mais Mme Baude connaissait le capitaine du port. Elle se réclama, heureusement, de cette imposante protection pour obtenir du factionnaire qu’on allât lui demander, en son nom, la grosse clé que le brave capitaine plaçait, chaque soir, en sûreté sous son chevet ; précaution dont l’extrême utilité n’échappera à personne, si l’on songe qu’en ce moment de paix profonde avec tous les voisins de la France, la fermeture de cette porte, la nuit, ne pouvait être un danger que pour le petit nez de Liette, en lui donnant un rhume, ou pour les rhumatismes de Mme Baude.

C’étaient de bons petits camarades pour Liette que ces enfants Maurel, Edmond, Marcel et Jacques, tous bien plus âgés qu’elle, puisque l’aîné avait treize ans, et le plus jeune, huit. Travailleurs et appliqués, ils ne jouaient avec leur petite voisine que le dimanche ou à la récréation du jeudi.

Ces natures, un peu sérieuses au logis paternel, s’épanchaient joyeuses et folâtres au dehors.

Leur sévère éducation était l’ouvrage du père, et leur gaieté, pleine d’entrain, venait de leur mère aimable et souriante pour tous.

M. Maurel qu’on ne voyait jamais circuler en ville autrement que pour aller au lycée et en revenir, n’était plus un très jeune papa. Il touchait à sa retraite à l’époque où Liette apprit à lire. Il faisait souvent de longues visites à la librairie, non pas pour y causer pendant des heures, mais pour se donner le plaisir de changer de place et de rayons les nombreux livres de sciences et de mécanique qu’il venait consulter, au grand ennui du commis de M. Baude, qui ne manquait jamais de lui dire que les ouvrages traitant de mathématiques ne devaient pas être mêlés à ceux qui parlaient d’histoire.