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LA TOUR DE LA LANTERNE.

que du port de La Rochelle, dernière escale du William Godder avant son retour à Glasgow. Il avait relevé les circonstances de la présence mystérieuse de Liette à bord, consignées brièvement par le capitaine, et il avait encore obtenu un extrait légal de ces importantes déclarations.

« Les tribunaux français, qui auront besoin de ces faits pour rétablir Liette dans ses droits, ajouta-t-il, pourront facilement s’éclairer. Mais je n’ai pas oublié un dernier moyen de preuve qui eût peut-être, dès les premiers jours, réussi à vous convaincre et à épargner à cette malheureuse jeune fille le calvaire de ces deux dernières semaines. Et tirant de sa puche le collier et la médaille que Liette, avant son départ, avait passés au cou de Lottie : Récuserez-vous, dit-il, ce dernier témoignage ?

Non, ils ne le récuseraient point. Mme Baude, tante Minette, M. et Mme Veriet étaient déjà bien convaincus ; mais cette dernière démonstration emportait toutes les hésitations que le doute ou la mauvaise foi pouvaient encore laisser subsister.

Harris raconta alors la vie de tristesses, de misères et de dévouement qui avait été celle de Liette pendant ces dix années : il eût parlé longtemps sans doute sur ce chapitre où son cœur l’entraînait presque malgré lui ; mais Liette l’interrompant doucement de la main :

« Laissez, Harris, nous parlerons plus tard de cela… bien que mieux vaudrait n’en plus jamais parler. — Il y a quelque chose dont je veux entretenir mes parents dès maintenant. Rouillard m’a prévenue ces jours derniers que mon cher parrain m’avait laissé, en mourant, la plus grande partie de sa fortune, et que ce don magnifique les avait autorisés à penser que j’étais une menteuse, une aventurière. Je leur pardonne… Ils ne me connaissaient pas ! Je déplore que mon cher parrain ne puisse entendre l’expression de ma profonde gratitude, et aussi mes regrets de ne pouvoir accepter toute seule ce royal cadeau. J’entends le partager avec les deux enfants que Dieu a envoyés à mon père et à ma mère pour les consoler de mon départ. Ce frère et cette sœur qui m’ont ignorée jusqu’à ce jour jouiront avec moi de cette superbe for-