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LA TOUR DE LA LANTERNE.

« Sachez que jamais enfant n’a été plus aimée. Quand j’étais petite fille, ils ont tous, par leur sollicitude incessante, par leurs soins les plus tendres, développé en mon âme naïve et affectueuse un amour immense, une reconnaissance sans bornes. Oui, ajouta-t-elle lentement et un peu bas, oui mon enfance heureuse avait laissé en mon cœur fidèle des souvenirs impérissables de leur chaude et enveloppante bonté, et je suis revenue parce qu’il m’eût été impossible de vire sans les revoir.

« Que j’ai souffert de la séparation et de mes jeunes années passées sous le toit de Mrs Moore ! Lorsque le voile lugubre qui enveloppait mon âme de ses mille replis, se déchira miraculeusement, et que ma mémoire dégagée put enfin me rappeler tout mon passé de tendresse, je fus prise de l’irrésistible besoin de venir retrouver mon foyer où m’attendait, hélas ! la plus horrible des désillusions. Plaignez-moi, Harris, car il m’a fallu constater que les disparus ne doivent plus jamais reparaître. »

À ces mots prononcés fortement par Liette répondit un cri douloureux, jeté par Mme Baude, qui se leva précipitamment et vint tomber, tout en larmes, entre les bras de la jeune fille.

« Ma fille ! ma Liette chérie ! Je te reconnais, moi ! s’écria cette vieille et tendre mère, en serrant avec amour cette enfant bien-aimée dans ses bras. Ne fuis pas, o ma fille, reste toujours près de moi ! je ne veux plus te perdre. »

Et alors peu à peu tous les spectateurs de cette scène attendrissante, émus profondément par les dernières paroles de la jeune fille, auxquelles son accent semblait prêter une mélancolie plus grande encore, gagnés à sa cause, joignirent leurs larmes et leurs caresses à celles de Mme Baude, et Liette défaillante de joie comprit qu’elle conquérait enfin la confiance des siens. L’instant était solennel. Elle se tourna vers Harris !

« Il me faut, dit-elle, prouver à tous ceux qui nous entourent que je suis bien la pauvre petite disparue, l’enfant égarée dans la vie qu’ils ont si longtemps pleurée ; puisque vous avez ici toutes les preuves réunies de mon identité, montrez-les sans plus tarder, Harris, racontez l’horreur de ma vie d’exil, vous l’avez vue ;