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DEUX SINGULIERS CLIENTS.

— Ah ! pardon, clama M. Maufisset avec suffisance, trop tard pour se dédire. Vous vous êtes engagé, et moi aussi, du reste.

— Mais, monsieur, gémissait le vieux baron, ce sera un marché de dupe.

— Trop tard pour y penser, mon bon monsieur », reprit M. Maufisset, et il déclara net, avec humeur, qu’un marché conclu est toujours définitif entre gens d’honneur.

À ce mot « d’honneur » M. de Beauminois ne fit plus d’objections. Sur ce terrain on était avec lui promptement d’accord.

I ouvrit lentement et en soupirant le couvercle de son panier, et devant le regard luisant de convoitise de M. Maufisset, il en sortit un énorme tourteau que sa gouvernante y avait mis dans la pensée que son maître ne serait pas de retour chez lui pour déjeuner, et qu’il aurait sûrement faim à cette heure-là.

« Voici mon déjeuner, dit-il, avec bonhomie. Espérons que vous aurez l’estomac aussi solide que le mien, et que ce morceau un peu lourd ne vous fera pas mal. »

Puis prenant le livre en question, il le fit disparaître dans son boutillon, en disant, un peu confus, à M. Baude, qui ne pouvait s’empêcher de sourire :

« Vous voudrez bien mettre ce volume au compte de M. Maufisset. »

Et il sortit à grandes enjambées, sans oser se retourner pour voir la figure déconfite de son entêté parieur.

Gagnant et perdant restèrent plus d’un mois sans remettre les pieds à la librairie.