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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Et, plus désolée que jamais, Liette s’assied sur le tronc renversé d’un vieux chêne, regardant au loin les Gerbies dont en ce moment le pâle soleil de novembre teint en rose le toit recouvert de tuiles.

Elle pleure sur elle-même, sur ses souvenirs, qu’il faut définitivement enterrer, sur ses espérances tombées au néant.

La plainte du vent dans la ramure des arbres, comme autrefois celle des vagues au bord de l’océan, accompagne sa douleur.

À quoi pensaient-ils donc les amis de jadis, les grands amis : MM. Leypeumal, Morel et Moutard et les autres, lorsqu’ils assuraient, en regardant ses yeux rieurs et les roses de ses joues, qu’ils y voyaient des promesses durables de santé et de bonheur !

Elle, heureuse, toujours heureuse !… Quelle étrange ironie du sort ! Le présent n’est-il pas là pour montrer l’inanité de ces prévisions, fondées sur un nuage qui passe ou sur une fleur qui s’entr’ouvre. Comme si l’instant qui suit la joie et le calme bonheur n’apportait pas, dans la vie, la tempête et la mort !

Elle a pu croire aux douceurs de l’heureux retour, cet autre mirage menteur, et elle en est là… après dix ans de luttes !

« Faut-il se décourager ? » se demande Liette.

D’autres le feraient sans doute, mais, elle, ne le fera pas. Ne possède-t-elle pas cette faculté de résistance qui engendre le courage moral ? Non, elle luttera et attendra encore avec une persistance inébranlable le retour des jours heureux… Et, si plus tard, après ce suprême effort, elle doit abandonner son rêve… oh alors ! elle retournera sur la terre d’exil se réfugier vers le cœur qui l’attend et offrir son dévouement et son amour à Lottie et à Harris.

Harris ! Liette n’a point oublié son ami.

Dès son arrivée aux Brettaux, cherchant à réparer ses torts envers lui, elle lui a écrit ses déboires, sa misère, son désespoir depuis la perte irréparable de ses effets. Mais Harris ne lui a pas répondu. N’était-il pas en droit de croire que le découragement et la douleur l’ont seuls jetée dans ses bras ?…

« Oh ! Harris ! s’écria-t-elle, où êtes-vous ? »