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XV

SUPRÊME ANGOISSE



Le 20 novembre réunissait chaque année les membres de la famille Baude qui pouvaient venir aux Gerbies souhaiter la fête à grand-papa.

Depuis qu’il avait atteint sa quatre-vingt-dixième année, personne n’osait manquer au rendez-vous.

En cette année 1870, avec le deuil qui couvrait la France, les Gerbies ne pouvaient pas être en fête. N’y avait-il pas ici, comme partout, des combattants devant l’ennemi ? Et comme la mort s’était taillée une large besogne sur les champs de bataille, personne ne songeait au feu d’artifice que tirait habituellement, en cette circonstance, le bon oncle Rigobert. L’oncle Rigobert n’était plus là, du reste. Lieutenant-colonel des mobilisés, il pensait actuellement à tout autre chose qu’aux amusements et bombardements artificiels. Grand-papa Baude, lui-même, se fût opposé à tous divertissements bruyants. Il ne riait plus, ce bon vieux grand-papa ! Quand il suivait avec terreur sur la carte, à l’aide de sa grosse loupe, la marche de l’invasion, il calculait, qu’au train où allaient les défaites, son pauvre pays de Saintonge, et même la Voirette verraient poindre, avant bien des jours, les hideux casques prussiens.

Avec de semblables pensées était-il possible de se réjouir ?