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ESPOIR ET DÉCEPTION.

« Ah ! je comprends maintenant, dit-elle, mélancolique. On suppose de ma part une supercherie.

— C’est ça, vous y êtes, lui répondit le père Rouillard. Apres un moment de silence, il reprit : Mais qu’allez-vous devenir, en attendant la fin de ces explications ?

— Je n’en sais rien….

— Vous ne pouvez cependant pas courir les chemins avec ce vieux rémouleur ?… Tenez, restez à la Voirette chez le père Saugis, l’aubergiste. J’irai lui parler dès ce « souer », après dîner. Mais descendez d’ici seule… de ma part il vous recevra….

— Merci, Rouillard, interrompit Liette, merci de vos bonnes intentions. Du moment que grand-papa Baude et son fils refusent de recevoir l’enfant perdue et ne veulent même pas s’assurer qu’elle existe, c’est qu’ils ne l’aiment plus ou l’ont complètement oubliée. Soyez sans inquiétude, je n’insisterai plus pour entrer aux Gerbies. Si le découragement ne me fait pas mourir comme une vagabonde, j’attendrai avec patience l’arrivée de ma grand’mère bien-aimée ; mais je ne l’attendrai pas au seuil de cette maison inhospitalière. J’irai plus loin, si je le puis. Dès ce soir, je vais retourner au Moüet chez matresse Chalin dont je vous ai parlé.

— En route, père Malaquin, reprit-elle avec autorité. Pauvre père Malaquin ! ma douleur n’a d’égale que votre lassitude ! »

Une fois au bas de l’allée des peupliers, qui formait l’avenue des Gerbies, elle se retourna vers la maison qu’on distinguait à peine.

« Façade de mensonges ! s’écria-t-elle, dans un sanglot. Pourquoi m’y avoir tạnt aimée, quand j’étais petite fille ? pourquoi y avoir pris et gardé mon cœur et mes sourires, pour me rejeter aujourd’hui avec mon amère douleur ? »

Tout en murmurant son désespoir, Liette suivait le père Malaquin dont elle avait repris la roue.

Morfondu, marchant pesamment, harassé, le malheureux pleurait aussi. Il supplia la jeune fille d’accepter le gîte qu’il lui offrait chez ses parents des Brettaux.