Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
226
LA TOUR DE LA LANTERNE.

rappelez-vous la petite fille des Gerbies qui vous donna un jour à repasser tous les couteaux de la maison ?

— Ah ! que me dites-vous là ! s’écria le vieux chemineau en s’arrêtant, presque suffoqué par la surprise. C’est vous cette bonne et charmante enfant qu’on a crue noyée ou volée, il y a une dizaine d’années ?

— C’est bien moi, vous l’avez dit — Comme ils vous ont pleurée, reprit-il ému, et comme ils doivent être heureux aux Gerbies et là-bas à La Rocholle !… Moi, je n’y suis plus retourné, je n’y ai plus remis les pieds parce qu’on m’a lachement accusé d’avoir peut-ctre bien prèté la main à votre disparition. Oui, il y a cu des gens assez vils pour accuser un pauvre diable, qui ne pouvait se défendre, d’un crime aussi abominable. Comme si le misérable gueux que je suis était capable de cette infamie !

— Consolez-vous, père Malaquin, dit Liette, avec douceur, vous voici à jamais lavé de toutes ces malveillances. J’arrive ; on va savoir la vérité. »

Alors Liette, en présence de cette vieille épave de son passé, de ce passé qui lui tenait encore tant au cœur, raconta son histoire, et le vieux, l’écoutant attentivement, s’attendrissait au récit de ses misères et pleurait sur ses angoisses d’enfant.

Pauvre vieux ! lui, du moins croyait en elle !

« Que de fois, dans ma vie, j’ai pensé à vous, chère demoiselle ! Il fait nėgre, à neut, mais sans vous voir, je vous reconnais bien, allez ! Il n’y avait que vous pour vous arrêter devant ma grande misère, pour me consoler et me donner courage. Ah ! « bonnes gens », que la vie vous rende en bonheur tout le bien que vous venez de faire ! »

Tout à la joie de ce retour miraculeux, il voulut ce soir même accompagner Liette aux Gerbies, afin de voir la figure que feraient ses anciens accusateurs. « Marchons maintenant sans nous arrêter, et laissez-moi me charger de mon ustensile… Que c’est donc lourd une accusation ! C’est plus lourd que cette manivelle, bien sûr. »