Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
LA TOUR DE LA LANTERNE.

perdre un mot des confidences de Liette, pour tout saisir et retenir, s’arrêtait par instant, tout en regardant à terre, sans l’interrompre.

Lorsque la jeune fille lui eut confié son insuccès chez son grand-papa Delfossy, Rouillard eut à son tour un soubresaut ressemblant à un doute. Il la regarda de côté, et lui dit avec une grimace significative :

« M’est avis tout de même que vous auriez mieux fait d’écrire que de reparaître comme ça, sans prévenir la famille.

— C’est peut-être vrai, dit Liette ; mais il me tardait tant de les revoir. Je m’imaginais jouir de leur surprise en arrivant inopinément !…

Voyez-vous, reprit le paysan, on est si souvent refait dans la vie qu’on n’est jamais trop méfiant.

— Alors, demanda Liette, pensez-vous que grand-papa Baude refuse également de me recevoir, si je me présente avec vous aux Gerbies ?

— Ma « foué », je n’en’sais rien, répondit le bonhomme, en se grattant la tête. Non, je ne dis pas tout à fait cela ; mais je crains que monsieur me blâme de vous amener tout de suite chez lui, sans l’avoir prévenu. Si M. Rigobert ou Mme Minhet étaient aux Gerbies, ça irait mieux, mais justement ils en sont absents. C’est M. Baude-Isart qui commande à c’t’heure, et ce n’est pas précisément un homme accommodant.

— Cela est juste, dit Liette. Mais si vous ne m’emmenez pas avec vous ce soir, Rouillard, je me demande ce que je vais devenir ici, en attendant le retour de ma pauvre grand’mère. Où aller, maintenant ? »

Avec son bon sens primitif, Rouillard comprit que Liette ne mentait pas, et le chagrin manifeste de la pauvre fille l’émut au point de lui faire perdre sa méfiance habituelle.

« Eh bien ! non, dit-il résolument. Je ne vous laisserai pas derrière moué, comme une abandonnée. Nous partirons ensemble pour la Voirette et vous vous arrangerez avec ces messieurs. Une foué là-bas, ça n’est plus mon affaire. Pauvre Mme Baude ! elle est