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UNE VIEILLE CONNAISSANCE

qu’elle a tant désiré revoir, mais où elle ne connait plus une âme, elle s’y trouve si seule, si abandonnée, qu’elle cherche, après cette dernière et profonde déconvenue, la rencontre d’un œil ami ou d’une figure de connaissance.

Mais Élisa a disparu. Elle a sans doute vendu déjà une partie de son beurre, et elle est partie porter le reste à ses clientes attitrées.

Liette, en regardant de tous côtés, aperçoit tout à coup non loin d’elle, une marchande coiffée d’un bonnet majestueux, comme en portait jadis Botte. À sa coiffure elle pense que cette femme est peut-être de la Voirette et qu’elle lui indiquera la route qui y conduit, car elle songe maintenant à s’y réfugier, ne sachant que devenir, isolée et sans ressources.

Elle ne s’est pas trompée. La paysanne est bien de la Voirette, du joli village caché dans la verdure des bois, où elle revoit en pensée la chère tante Minette, tonton Rigobert et grand-papa Baude.

Tous ces essais infructueux l’ont rendue craintive. Aussi, est-ce avec hésitation qu’elle demande à la campagnarde si le vieux M. Baude existe toujours et comment vont ses enfants.

Enfin ! Elle peut se réjouir ! Grand-papa est encore vivant et ses enfants vont tous bien.

« Mais au surplus, reprend la paysanne, en désignant un homme qui cause avec une marchande : voici là-bas le domestique des Gerbies, le vieux Rouillard ; il vous renseignera, si vous voulez en savoir plus long. »

Liette regarde l’homme en casquette de loutre qu’on lui indique, et dans ce vieillard aux cheveux blancs, dont le dos voûté fait remonter jusqu’aux oreilles la blouse de droguet, elle ne reconnaît pas le Rouillard, qui, jadis, racontait de si drôles d’histoires.

Elle n’eut pas le temps de réfléchir à ce lointain passé, car l’homme partit précipitamment ; et il marchait si vite, malgré sa vieillesse apparente, que Liette dut courir sur ses pas pour ne pas le perdre de vue dans la foule.

« Rouillard ! Rouillard ! »