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ÉTRANGÈRE DANS SA PATRIE.

répondit avec terreur la grosse commère ; ils ne feraient de vous qu’une bouchée. Non, restez ici, rendez-moi plutôt le service d’aller chercher la police.

— Laissez-moi essayer, madame, lui répondit Liette. J’ai longtemps vécu au milieu de ces gens ; leurs discussions viennent souvent d’un stupide entêtement. Je sais comment on peut les prendre et ce qu’il faut leur dire pour les calmer, quand ils peuvent encore entendre. »

Et passant devant l’aubergiste, pétrifiée de cette audace, Liette se dirigea vers les deux adversaires.

« Matelots ! Matelots ! leur cria-t-elle en anglais, écoutez-moi ! » Surpris de s’entendre interpeller dans leur langue, les deux brutes se retournèrent instinctivement et regardèrent Liette quelques secondes, sans comprendre ce qu’elle leur voulait ; puis, ils reprirent immédiatement leur querelle.

Véhémente, Liette continua à leur reprocher leur mépris des lois de l’hospitalité qui les faisait régler leurs différends dans un pays ami, en pleine guerre lui-même et chez lequel le sang ne devait couler que pour la bonne cause.

Les deux marins regardèrent de nouveau la jeune fille, mais avec un dédain manifeste. Ils virent en elle une évangéliste anglicane, faisant probablement du zèle religieux. Ah ! elle pouvait parler si bon lui semblait, et même parler longtemps ; ils ne l’écoutaient plus, ne s’en occupaient pas.

Toutefois, fatigués à la fin des remontrances que leur adressait la jeune fille, ils se mirent tous deux à l’injurier à son tour. D’abord, elle ne répondit à ces injures que par quelques haussements d’épaules, puis, comme ils redoublaient de grossièretés, elle leur jeta une phrase de leur argot, sans doute drôle et amusante, et qui les stupéfia étrangement d’entendre si loin de leur pays, car les matelots s’arrêtèrent net de parler et se mirent à rire.

Celui qui rit, dit-on, est désarmé.

Liette profita de cette accalmie pour les inviter, s’ils ne voulaient pas se réconcilier, à s’aller battre ailleurs.

Elle leur parlait maintenant avec assurance, les regardant