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DEUX SINGULIERS CLIENTS.

ment apportées dans les us et coutumes de l’endroit, avec des tournures de phrases très correctes, mais aussi avec un accent campagnard qui ajoutait encore à l’originalité du personnage.

Il ne possédait plus ni terres labourables, ni bois, ni marais, mais seulement un très vieux château qu’il habitait, à quelques kilomètres de la ville, en compagnie d’une paysanne qu’il appelait « sa gouvernante » et de quatre gros chiens, dressés à faire se police.

Ce château renfermait des richesses : vieux bahuts sculptés, boiseries, vitraux, faïences, à faire pâmer les amateurs et les collectionneurs les plus experts. Tous ces trésors, amassés sans doute par plusieurs générations de Beauminois, étaient à présent vendus un à un par ce maniaque pour satisfaire ses goûts de bibliomane que ses maigres ressources n’auraient pu lui procurer. Il arriva même que quelques-uns des collectionneurs, qui commençaient déjà à mettre le pays en coupe réglée, vinrent relancer, jusqu’au centre de son paradis, ce singulier personnage, très dur à le détente à l’ordinaire, mais qui, devant un livre désiré d’une valeur de 40 francs, par exemple, ne résistait pas à l’échanger contre une médaille, une dentelle, une miniature d’un prix vingt fois supérieur.

M. Baude avait fini par intervenir. Ces bizarres échanges, chez lui, le chiffonnaient, car ils fleuraient un peu trop, pensait-il, la côte barbaresque. Il pria donc les amateurs d’aller opérer ailleurs, Le bon vieux de Beauminois, candide comme tous les maniaques, ne voyait pas bien pourquoi la délicatesse du libraire s’alarmait et le priait humblement de le laisser terminer sa petite opération.

Il sortait de son panier un objet ancien, apporté en cas d’offres, avec l’intention de l’échanger contre un volume neuf ou même contre un vieux bouquin dont il avait envie ; et s’il rencontrait les yeux terribles de M. Baude, il le rentrait tout penaud, puis s’esquivait pour le rapporter le prochain samedi.

Le naïf étant, lui, Beauminois, le roublard était un certain médecin de campagne, du nom de Maufisset, dont le maison regorgeait de tout ce que sa finesse de collectionneur et sa con-