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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Elle restait là inerte, comme figée au sol, lorsque son attention fut attirée par une grosse commère qui venait, fréquemment et avec précipitation, sur le seuil de sa porte. Elle regardait alors dehors avec persistance, puis repartait en fermant la porte de sa bruyante salle de cabaret.

Liette avait remarqué l’aspect modeste de cette auberge, sorte de restaurant-cabaret, fréquenté, semblait-il, par de petites gens. Elle avait eu la pensée d’y entrer, mais le bruit de voix venant de cette salle l’en avait détournée.

À travers les carreaux de la porte vitrée, elle crut voir et entendre une espèce de rixe, lorsque tout à coup sortit de nouveau la grosse femme effarée.

« Vous n’en voyez pas, demanda-t-elle à Liette, vous n’apercevez donc pas de sergents de ville qui puissent venir ici mettre un peu l’ordre et empêcher ces deux hommes de se tuer ? »

Liette et elle regardèrent de tous côtés.

« Ils ne sont jamais là, quand on a besoin d’eux, clama la femme. Voilà tantôt une heure que deux hommes se disputent dans leur langue ; maintenant ils se menacent et vont sûrement en arriver aux mauvais coups. Le grand a des gestes féroces qui font frémir ; je prévois un malheur. Et dans une maison comme la mienne, une maison honnête, qui ne reçoit que des gens tranquilles, où la police n’a jamais mis le nez !… C’est-y pas malheureux !… Tenez, écoutez-les ; ne dirait-on pas qu’ils vont se dévorer ? Des soldats ont déjà cherché à les séparer, mais j’ai cru qu’ils allaient tous deux sauter dessus ; ils ne manquerait plus que ça !…

Liette regarda de nouveau par la porte ouverte et écouta quelques instants. Elle vit deux matelots anglais écumant de fureur, hors d’eux-mêmes, s’invectivant, les poings serrés. Une table les séparait, mais le plus petit cherchait à escalader ce fragile obstacle pour se rapprocher de son adversaire.

Permettez-moi d’entrer, demanda la jeune fille. Je connais leur langage ; le fond de leur querelle ne me paraît pas grave ; je vais essayer de les calmer.

— Au nom du ciel, n’y pensez pas, ma pauvre petite, lui