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XI

ÉTRANGĖRE DANS SA PATRIE



La nuit maintenant enveloppait la côte ; la mer se calmait, L pluie avait cessé ; mais dans le ciel noir de gros nuages roulaient annonçant le grain prochain.

Liette, alors, doucement retourna vers la ville, émiettant, tout en marchant, au lieu de le manger, le morceau de pain que Gertrude lui avait donné.

Le cœur brisé, le corps défaillant, elle vint rôder sur la rive éclairée à présent par la lueur blafarde des becs de gaz.

Où aller à cette heure ? Il ne lui reste que quelques pièces de monnaie anglaise qu’on lui refusera sans doute, si elle les présente, et cependant la faim, une faim tenaillante et cruelle la tord par instant, l’empêchant de marcher. Comment l’apaiser ? chez qui chercher l’hospitalité ? Les petits restaurants, les auberges qu’elle aperçoit, en longeant les boutiques, semblent tous remplis de la même clientèle : des soldats et des marins. C’est l’heure de la soupe.

Ses yeux hagards, errant du bassin au port et du port au bassin, croient apercevoir au loin la silhouette du Jeune Jacques encore amarré. Si elle osait, elle hélerait le patron qui, certainement, lui donnerait de grand cœur une portion de pitance. Mais par un sentiment d’amour-propre et de délicatesse, il lui répugne de divulguer à ces gens, qui doivent la croire heureuse à cette heure, son insuccès et ses chagrins.