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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Comme elle achevait ces mots, le commandant Delfosey parut dans l’encadrement de la porte :

« Que me chante Gertrude ? dit-il, la voix impérieuse. Une prétendue Liette viendrait ici réclamer ses droits ? »

Liette s’avança timidement vers l’irascible vieillard.

« Oui, cher grand-papa, dit-elle, la voix un peu câline, c’est votre Liette qui vous revient, bien grandie, sans doute changée, mais toujours aimante. Je ne viens pas réclamer dés droits me j’ignore, mais ma place au foyer de la famille. »

Le vieillard, en la regardant attentivement, l’écouta sans l’interrompre. Il pensait à une petite fille aux cheveux blonds, à l’œil mutin et à la bouche rieuse, et il voyait devant lui une grande personne à le brune chevelure, le teint pâle, la physionomie craintive et sérieuse, il n’y était plus du tout. N’ayant pas la réflexion facile, il ne calculait pas les années d’absence de cette enfant. Il ne lui répondit pas d’abord, mais se tournant vers Mme Rivault, il dit d’une voir tonnante :

« Mettez-moi cette fille à la porte, et que ça ne traîne pas ! c’est une comédienne, une menteuse, une espionne peut-être. Vous ne l’avez donc pas compris ? Sôn accent aurait dû vous ouvrir l’œil. Que nous a dit hier au soir Rigobert Baude ? Renfermez-vous bien, car de mauvais soldats, des espions, un tas de gens sans aveu, rôdent dans la campagne. On n’a pas le temps de se préoccuper d’eux, et ils en profitent pour commettre des méfaits. Oui, voilà ce que disait Baude précisément hier soir ! »

Puis s’emportant, il rugit :

« C’est une espionne, je vous dis ! Une espionne ! une espionne chez le commandant Delfossy ! Nom de nom ! F…-moi promptement cette créature-là dehors. »

Et se tournant vers Liette : « Allons, décampez vite et que je ne ne vous revoie pas, autrement !…

Et mettant ses deux index l’un devant l’autre, sous son œil droit, il fit le geste de tirer.

À ces paroles, à ce geste, Liette toute tremblante, à demi morte