III
DEUX SINGULIERS CLIENTS
elques années avant la naissance de Liette, M. Baude, à la suite d’une laryngite aiguë qui l’avait rendu à peu près aphone, s’était vu obligé d’abandonner l’enseignement ; et comme
il se trouvait trop jeune encore pour ne plus travailler, il s’était
mis au lieu et place d’un vieux cousin, imprimeur et propriétaire
du journal le Héraut de l’Aunis, petite feuille bien rédigée, mais
sans grande importance. L’imprimerie ne suffisant pas à son
activité, il avait encore fondé une librairie. Ce commerce spécial,
qui cadrait avec ses goûts et ses aptitudes, augmentait notablement
ses profits et lui assurait une complète indépendance.
Ses anciens collègues du Lycée, pour la plupart ex-normaliens distingués, mis en disgrâce à La Rochelle à cause de leurs opinions politiques, aimaient à fréquenter la maison grande ouverte de cet ami, où ils rencontraient tout ce que la ville renfermait d’érudits et de savants.
Peu à peu la librairie devint un centre intellectuel, le rendez-vous des hommes politiques et des causeurs. Tous les sujets y étaient traités : morale, religion, questions sociales et philosophiques sous le couvert de l’excellent et discret M. Baude.
On achetait, on lisait, on causait et on discutait en toute franchise et liberté.