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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Mais elle se remet de cette crainte désolante. Oui, ses chers vieux croiront ; d’ailleurs, qui pourrait les aimer comme elle !

Les heures passent, les journées s’écoulent, l’aube du troisième jour luit.

« Patience, miss Liette, dit Le capitaine ; avec le vent qui nous pousse nous serons sûrement demain en vue de La Rochelle. »

Quelle joie dans le cœur de Liette, lorsqu’elle entend ces paroles !

Enfin, les côtes de France se dessinent à l’horizon, et le petit narire, ans modérer se vive allure, évite les Pertuis. Bientôt apparaît au loin la Tour de la Lanterne ; le chenal est vite franchi, et La Rochelle est alors devant Liette avec ses deux grosses tours de bastion, qui semblent défendre le bassin du port dans lequel entre, majestueux, le Jeune Jacques, toutes voiles déployées.

Liette ne sourit plus ; debout près du bastingage, elle a peine à comprimer les battements précipités de son cœur, elle regarde de tous côtés, éperdue de bonheur, et dans le jour qui tombe, elle reconnaît encore le rêve vécu jadis ici : le bon rêve plein de soleil, de sourires et de bateaux…

Cependant, les mille et une formalités qui vont se dresser au sujet du débarquement ne lui permettront pas de descendre immédiatement à terre.

L’administration de son cher pays, alors en pleine guerre avec l’Allemagne, soupçonneuse, défiante pour ce qui arrive du large, l’oblige à attendre la visite minutieuse que doit venir faire sur le bateau l’envoyé de l’autorité maritime. Et, sans la parole donnée par le capitaine Polasset du Jeune Jacques, qui assure répondre de l’intéressante étrangère, il n’est pas certain qu’elle eût pu même débarquer.

Ce léger retard, ces soupçons, ces tracasseries énervent la voyageuse.

Elle avait bien entendu parler par Harris de cette guerre horrible, qui saigne la France et décime ses enfants ; et bien qu’au contact de l’étranger elle n’eût pas perdu ce frisson, cette fleur de sensibilité nationale que garde toujours en son âme celui qui est de France, elle n’avait pas encore senti profondément la souffrance.