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LA TOUR DE LA LANTERNE.

hier presque subitement ; ils sont précis. Je puis donc vous reprocher enfin votre odieuse conduite à l’égard d’une pauvre enfant sans défense, abandonnée à votre égoïste cupidité. Oh ! que vous m’avez rendue malheureuse sous le couvert d’une hypocrite charité !

« Si vos intentions à mon endroit eussent été pures et droites, vous ne m’auriez pas fait passer pour votre nièce. Vous auriez déclaré qui j’étais, et je serais depuis longtemps, sans doute, retournée près de mes chers parents désolés. C’est lache et perfide ce que vous avez fait là. »

Mrs Moore, ordinairement très mattresse d’elle-même, parut d’abord accablée par la logique de ces justes reproches.

« J’avais toujours soupçonné que cette enfant m’occasionnerait des soucis », dit-elle tout bas, puis, elle ajouta en élevant la voix :

« Alors toute la peine que j’ai prise pour vous ne compte plus ! Ah ! si j’avais pu prévoir quelle ingrate je soignais… je vous aurais laissée ce que vous étiez, lorsqu’on vous a confiée à nous : une malheureuse petite mourante qui n’avait que le souffle… Et dire que je vous ai traitée et considérée jusqu’à ce jour comme ma fille !

— Comme votre fille ! s’écria Liette indignée, vous n’oseriez le soutenir devant personne du pays ; tout le monde connaît votre dureté. Les soins que vous m’avez donnés étaient intéressés et je vous les ai rendus au centuple, ainsi qu’à Edith ; car depuis que je mange votre pain amer, je suis restée la servante de la maison, l’esclave de vos volontés. Et personnellement, vous Mrs Moore, vous n’avez jamais eu que la pensée de vous servir de ma jeunesse et de mon bon vouloir. Moi, votre fille ! quelle ironie ! Sans mes amis les Dillon, que serais-je à cette heure ? une pauvre ignorante, l’égale des servantes de l’auberge ! »

La veuve était visiblement décontenancée par la vigueur de ce langage nouveau pour elle.

Liette poursuivit sur un ton moins acerbe : « Je ne veux cependant pas oublier, au milieu de ces reproches mérités, combien le ciel me protège. Je ne parlerai plus du passé, mais remettez-moi immédiatement les vêtements que je portais le jour où vous m’avez reçue des bras de ?…