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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Ces buies charmaient tellement les yeux de Liette, qu’elle faisait devant elles de longues stations, cherchant ou à plonger se petite main par l’ouverture, ou à jeter, quand on ne pouvait la voir, de petits morceaux de papier qu’elle regardait ensuite surnager.

Ces vases contenaient l’eau à boire, parce que la pompe dans la cour en fournissait une mauvaise, saumâtre, comme l’eau d’une grande partie des maisons de La Rochelle.

Deux fois par jour, pour aider la vieille bonne, Botte prenait ces buies, et allait les remplir à une fontaine publique située de temps immémorial sur une place, à peu de distance de la maison.

Cette archaïque fontaine était, pour les domestiques du quartier, un lieu de réunion.

On y jasait ferme, on y riait, on s’y donnait même des rendez-vous qui n’avaient rien de très offensant pour la morale, puisqu’ils avaient lieu au plein soleil.

Liette, qui aimait à accompagner sa bonne un peu partout, en prenant le coin de son tablier, avait une prédilection très marquée pour ces petits voyages, parce qu’ils lui procuraient deux plaisirs : celui de patauger dans l’eau et celui d’essayer, d’ailleurs toujours inutilement, de faire marcher le balancier de la pompe.

Ses deux mains sur la barre, elle appuyait de toutes ses forces, sans parvenir à lui imprimer le moindre mouvement, ni à faire tomber la plus petite gouttelette.

Tous ces efforts, non couronnés de succès, la mettaient en nage. Désolée, elle demandait alors à Botte, qui riait à se tordre devant son impuissance, de bien vouloir l’aider, persuadée ensuite, lorsque l’eau coulait, qu’elle avait réussi toute seule.

Une fois les cruches remplies, et pendant que Botte faisait la causette, Liette ne perdait pas son temps. Elle se penchait sur les buies, et par le petit goulot aspirait quelques gorgées bien fraîches. Puis, faisant le tour du massif monument, elle allait voir le gros « Sylvain » aux longues oreilles qui, tout au haut de la fontaine, laissait tomber, par sa large bouche, une nappe