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LA TOUR DE LA LANTERNE.

avec les maîtres de l’usine dans le grand et beau jardin au milieu duquel leur habitation était construite.

Dans ce milieu distingué, elle avait peu à peu perdu son ordinaire sauvagerie, et sa grâce native était enfin réapparue, imprimant à sa physionomie un charme étrange, une grande douceur unie à une non moins grande fermeté.


Quelques années s’écoulèrent encore, et maintenant nous retrouvons Liette grande et belle jeune fille de dix-huit ans, absolument métamorphosée.

Voilà dix ans qu’elle habite son pays d’exil. Sa destinée fatale l’a séparée des siens, mais elle ne les a pas oubliés. Liette n’a conservé de sa beauté d’enfant que ses grands yeux bruns, vifs et volontaires et ses superbes cheveux châtains aux reflets dorés, tordus maintenant en masses épaisses au-dessus de sa nuque.

La balafre qui, comme une ligne laiteuse, coupe malheureusement encore son frais visage, en atténue peut-être la grâce charmante, mais telle quelle cette jeune tête de Velléda, que la bouche fortement fendue et le nez droit rendent énergique, arrête le regard ; elle est assurément mieux que jolie et les jeunes gens de son entourage ont souvent’cherché à le lui dire ; mais comme, dédaigneuse, elle n’a eu l’air ni de les croire, ni même de les écouter, ils l’ont laissée seule dans sa fierté. Elle a donc vécu au milieu des insulaires comme une étrangère qui passe sans s’attacher ni aux choses, ni aux gens, le cœur et la pensée ailleurs… ien loin ! Car malgré ses efforts et ses tentatives de retour vers son passé, elle n’était jamais parvenue à se rappeler le nom de sa ville natale, ni celui de ses parents.

Ce nom semblait effacé à tout jamais de sa mémoire. Dès qu’elle croyait tenir le fil conducteur qui guidait ses souvenirs, ce fil ténu dans les rêves, se rompait aussitôt, et la pauvre enfant, saisie de trouble et d’angoisses, ne pouvait retenir ses larmes.

Si elle apporte à présent un certain esprit de suite dans ses