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RAPPELS ET SOUVENIRS.

celui d’un vieillard au bienveillant regard, le doux et ineffable sourire d’une femme en deuil, et les yeux rieurs d’une toute petite bonne au « capot » majestueux.

Quels étaient donc ces êtres auxquels elle ne pouvait penser sans fondre en larmes ? Étaient-ce encore des réminiscences de ses songes menteurs, ou bien d’adorables réalités ?

« Je voux savoir, se dit-elle tout à coup volontaire, je veux savoir où vivent ces images adorées, car je veux les revoir ou mourir. Et dès ce soir, tante Moore me renseignera. »

En hâte elle allongea le pas, sans remarquer que depuis un instant un homme la suivait à peu de distance. « Où allez-vous si vite, Liette ? lui cria-t-il d’une voix joyeuse.

— Je rentre, Mr Dillon, dit-elle en se retournant, je rentre, comme chaque soir, quand ma journée est faite… plus ou moins fatiguée.

— Où avez-vous travaillé aujourd’hui ?

— Chez les Morrisson, avec le vieux Polk. Ah ! que je me sens lasse de mener cette horrible existence !

— Je vous crois, pauvre enfant ! mais aussi pourquoi ne pas vouloir accepter les propositions que je vous ai faites au nom de Mrs Mac Dermott.

— J’en ai parlé à Mrs Moore, mais elle a haussé les épaules, prétendant que ce sont ou des mensonges ou des plaisanteries.

Mrs Mac Dermott ne peut vouloir d’une ignorante comme moi près de ses filles à moins que cette proposition m’ait été faite pour me faire abandonner sa maison et servir des intérêts qui sont contraires aux siens. Mais vous, Mr Dillon, pourquoi ne pas lui avoir parlé sérieusement ? »

À cette interrogation de Liette, Dillon s’arrêta court.

« Conprenez-moi bien, Liette, dit-il d’une voix assurée ; si je n’ai pas insisté prės de Mrs Moore, c’est que j’avais intérêt à ne pas la mécontenter. Mon fils Harris aime Edith ; il y a longtemps qu’il la demande, mais la mère d’Edith, par égoisme, la lui a refusée.

À cette heure, elle y consent presque, parce que vous voici en âge de lui remplacer la fille qu’elle perdra. Il ne faut pas trop en vou-