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PREMIÈRES EXPLORATIONS.

— Certes ! reprit à son tour Mme Reydire en pinçant les lèvres et en retroussant machinalement les manchettes de sa robe, comme pour se disposer à cuisiner, les temps sont durs pour M. Baude, comme ils le sont pour d’autres qui ne peuvent avoir de domestiques. Vous devez gagner un gros gage chez les parents de cette petite, car porter une enfant aussi forte n’est pas un mince ouvrage.

— Oh ! pas bien gros le prix, dit Bolle ; madame m’a promis de m’augmenter, quand la chérie aura ses trois ans. À neut, je gagne cinquante francs par an, deux tabliers et un foulard.

— Cinquante francs ! eh bien, ma fille, c’est un beau gage ! Où est-il le temps, grand Dieu ! ajouta Mme Reydire, où l’on donnait quinze écus à une bonne cuisinière ? Je ne suis cependant pas bien vieille, mais j’ai vu ce temps-là.

— C’est pitié d’abuser ainsi du pauvre monde, prononça avec emphase M. Reydire. Comment voulez-vous que les gens soient heureux, si on ne les paie pas ce qu’ils valent ? Quand on ne peut payer une domestique selon l’équité, on ne se donne pas le luxe d’en avoir. C’est ce qui nous arrive, n’est-ce pas madame Reydire ? Si nous nous passons de servante, du moins ne faisons-nous pas travailler les malheureux pour rien. »

La femme disait blanc, le mari disait noir. Botte n’y comprenant plus rien, raconta le soir à le vieille servante, Marie, les propos des voisins.

Cette dernière, depuis trente ans dans la famille de Mme Baude, n’admettait pas toutes ces observations au sujet de ses maîtres.

Elle avait de la logique sans s’en douter, la vieille Marie : « Ne bavarde pas avec tous ces jaloux, disait-elle à Botte. Si madame savait que tu racontes ses affaires, elle te renverrait. Fais, comme moi, la sourde oreille ; aime ceux chez lesquels tu es, attache-toi à eux ; c’est du bon monde. Ce n’est pas de courir les maisons qui vaut le mieux, car les bonnes places ne pleuvent guère ; celles qui les ont les gardent ».

Il y avait dans la cuisine de Marie deux belles grandes buies (cruches) en grès, émaillées extérieurement d’un ton vert clair.