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LA TOUR DE LA LANTERNE.

la sévère et pleureuse Mrs Moore, cet air ambiant, tout rempli d’âpreté et de tristesse, mirent leur empreinte sur la nature de cette pauvre petite fille, perdue dans un milieu si éloigné de son berceau.

Liette grandit beaucoup, mais resta longtemps alanguie. Toutefois, vers l’âge de quatorze ans, elle prit au contact des gros et durs labeurs auxquels on l’avait soumise, une santé résistante. Son visage, un peu pale sous le hale qui le brunissait, étrange comme une vision, conservait, en dépit du milieu, la distinction un peu mièvre de la jeune fille des villes.

Depuis sa longue maladie, elle était devenue rêveuse, mais réfléchie, prévoyante et bonne pour tous. Par instants sa vivacité se manifestait encore non par des jets d’esprit ou d’intelligence, comme jadis, mais par une activité adroite dans tout ce qu’elle faisait. Aussi, en abusait-on pour lui demander des services et son aide jusque dans les choses où sa force n’était même pas à la hauteur de la tâche.

Si les pêcheurs sont, sous tous les climats, francs et laborieux, ils sont aussi, en raison de leurs durs labeurs, énergiques et brutaux.

Ils usaient et abusaient de la bonne volonté jamais lassée de cette jeune enfant, qui recherchait les travaux au dehors pour se soustraire à la triste atmosphère du cottage. Liette ne pouvait être complètement des leurs ; une amertume, un dégoût lui montait souvent aux lèvres au contact de certaines besognes et de promiscuités, qui choquaient dans ce milieu, sa réserve et sa délicatesse natives.

Debout dès l’aube, elle s’occupait consciencieusement des soins du ménage, faisait les commissions, et, pour gagner quelques pence, celles des voisins.

C’est ainsi qu’elle allait, pour les uns et les autres, puiser l’eau douce à une citerne éloignée du village, dans un grand vase en terre qui lui rappelait, comme forme, les petites buies entrevues dans ses rêves.

Personne ne faisait comme elle un feu ronflant au charbon de