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JOURS DE DEUIL. PAUVRE LIETTE !

quelque chose. La séparation, la maladie ou la mort n’avaient d’importance pour elle qu’autant que le bien-être de la maison s’en trouvait affecté.

À force’d’entendre sa mère récriminer et se plaindre, Edith, dont la nature était plus compatissante et plus tendre, avait senti se refroidir sa première affection pour cette petite étrangère à laquelle, dans le principe, elle avait prodigué les soins les plus dévoués.

« Vous êtes avec nous, dit-elle un jour à Liette, et pour toujours très probablement ; tâchez de vous le rappeler. Seul John pourra vous conduire ailleurs, si jamais il revient. Demandez-le au Seigneur, cela vaudra mieux que de pleurer inutilement. Au surplus, vous n’êtes pas, ici, plus malheureuse que nous ! »

Ces sèches réflexions, si peu consolantes, brisaient le ceur de la pauvre enfant.

Désormais elle contint ses sanglots, les gardant pour la nuit, quand il lui arrivait de se réveiller et de sentir autour d’elle l’obscurité, le silence et l’oubli.

Les années qui s’écoulèrent ensuite n’accusèrent aucun changement dans sa sombre et ignorante existence. Personne ne s’intéressait à son sort ; pas une âme ne lui offrait son amitié. Elle grandissait sans se développer intellectuellement. Elle en était venue peu à peu à oublier le français, ne se rappelant que la prière qu’elle disait chaque soir dans la douce langue que parlait tante Minette.