Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
JOURS DE DEUIL. PAUVRE LIETTE !

et tomba sur son lit, elle sembla sortir d’une léthargie profonde. Alors elle chercha à se lever. Edith la roula dans une couverture et la porta sur un banc du jardinet.

Le soleil, qui la pénétrait de ses chauds rayons, ranimait ses pauvres membres, presque paralysés par une immobilité si longue, et éveillait enfin sa pensée endormie jusqu’à ce jour. Elle regardait les objets nouveaux qui l’entouraient : la maison de briques rouge étroite et basse, les quelques carrés de légumes, soigneusement cultivés, séparés de la route par une palissade en mauvais état.

Que tout cela était pauvre, mesquin et solitaire ! Elle ne retrouvait rien du décor dans lequel elle avait toujours vécu et se demandait avec un étonnement douloureux ce que ce changement extraordinaire voulait dire ! Pourquoi était-elle là ? Qui l’y avait amenée ? Quelle était cette jeune fille inconnue dont le visage anxieux, penché au-dessus de son lit, lui était tant de fois apparu, pendant sa longue maladie, et qui la regardait, en ce moment, les mains croisées sur les genoux, avec un mélancolique sourire ?

Quel angoissant mystère pour cette petite tête encore si malade et si faible !

Dès cet instant, elle commença à saisir quelques mots d’anglais, tout en restant incompréhensible pour ses deux gardiennes auxquelles elle persistait à ne répondre que dans sa langue maternelle.

Un jour, elle aperçut son visage dans un miroir accroché près de son lit, et ne se reconnaissant pas, elle se mit à pleurer avec désespoir. Personne ne pouvait concevoir ce qui se passait dans ce cœur d’enfant désolée… À d’autres moments, elle cherchait à son cou le collier de corail et la médaille qu’elle portait depuis son enfance, mais collier et médaille avaient disparu. Habillée dans les vêtements un peu grands d’Annie, elle ne retrouvait rien sur elle qui lui rappelât son passé.

Oui, elle se croyait en plein rêve ; et ce passé si doux dans lequel sa pensée aimait tant à revivre, auquel elle songeait chaque fois qu’elle fermait les yeux, revenait sans cesse à sa mémoire,