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LA TOUR DE LA LANTERNE.

venu, pour la consoler, qu’elle retournerait aux Gerbies au printemps prochain.

Mais la vie, qui a de singuliers retours, démontre perpétuellement que le lendemain ne ressemble pas à la veille.

Et l’hiver revint, répandant sa tristesse brumeuse et froide sur la promenade du Mail, sous les porches de la ville, envahissant même l’intérieur des maisons.

Alors reparurent les feux joyeux des grosses « cosses » d’ormeaux, flambant dans la grande cheminée de la librairie, égayant, seuls, cette belle bibliothèque que les clients ne visitaient guère que le soir. Les journées courtes de l’hiver ne prêtaient pas aux longues conversations, bien plus agréables à la lueur du gaz, les pieds devant Les charbons clairs des bâches incandescentes.

Les clients habituels et les vieux amis parlaient entre eux politique et histoire, ou égratignaient quelque peu le prochain.

C’était l’époque où notre littérature donnant à foison, dans tous les genres, les auteurs de génie produisaient œuvres sur œuvres, chefs-d’œuvre sur chefs-d’œuvre : Quinet, Thiers, Lamertine, Victor Hugo, Théophile Gautier, Michelet, George Sand, Dumas. C’était encore l’Empire à son aurore, préoccupant les fortes têtes de tous ces vieux libéraux de la première heure. On tenait des conciliabules où fomentaient des idées, semences de révolte.

On citait les mots heureux ou malheureux des hommes en vue. Chaque soir, les sujets de conversation étaient nouveaux.

Les esprits curieux s’ouvraient aux problèmes que commençaient à poser aux chercheurs d’idées les prolétaires, apprenant à raisonner ; car maintenant le peuple savait lire ces brochures qui arrivaient, toutes les semaines, de la maison Hachette, en monstrueux ballots. Chacun en trouvait selon son âge ou son instruction : depuis la Semaine des Enfants pour les petits, jusqu’aux revues scientifiques et littéraires pour les grands et les érudits.

Le samedi soir, chacun venait chercher les quelques pages illustrées, qui aiguisaient la curiosité du lecteur et l’impatience de l’abonné par son piquant intérêt brusquement arrêté, avec la promesse de la suite au prochain numéro.