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LA TOUR DE LA LANTERNE.

Tante Minette eut vivement fait les préparatifs du départ, et par une belle-journée du mois d’août, Liette et sa tante exécutèrent le 3 978e voyage de Rouillard à Rochefort, où elles séjournèrent vingt-quatre heures, avant de reprendre le diligence de La Rochelle.

Mme Minhet profita de ce voyage pour régler quelques affaires urgentes chez des amis qui habitaient non loin du bagne. La complaisance d’un officier de marine qu’elle connaissait, lui procura la facilité de le visiter avec sa petite-nièce. Elles achetèrent quelques-uns des petits bibelots, sculptés et travaillés par les malheureux forçats.

Bien que Liette se fût assurée par plusieurs coups d’œil réitérés que ces criminels étaient semblables aux autres hommes, elle leur trouvait néanmoins des figures et une tournure tout à fait particulières et impressionnantes ; elle avait une peur, bien légitime, du reste, de leur contact qu’elle comparait, dans sa pensée, à la répulsion que lui ferait éprouver la vue d’un reptile. Et cependant, Collet, Mongrin et Bertrand, redoutables bandits aux bonnets verts, avec leur face rasée, avaient des physionomies aussi paisibles (respect gardé) que celle de M. le Curé de la Voirette, et lui souriaient en passant péniblement près d’elle, le pied pris dans la chaîne de leur boulet.

« Oh ! que c’est triste, que c’est triste d’être méchant ! disait Liette en se cachant à moitié le visage dans le mantelet de sa tante. Non, partons, j’en ai assez !… »

Elle fut pendant plusieurs heures sous l’obsession des regards hypocrites de ces affreux coquins ; et ce ne fut qu’en arrivant à La Rochelle, à la vue des barques du port et en sentant la bonne odeur de la pleine mer, qu’elle se remit de cette triste impression.

Joie et bonheur ! revoir cette bonne grand’mère, ce cher grand-père qui pleuraient d’attendrissement en l’embrassant.

Ah ! que la vie est douce, quand on s’aime !

Liette reprit ses anciennes petites habitudes ; elle se remit à table entre ses deux vieux chéris, ne sachant quelles caresses leur faire pour leur montrer, elle aussi, toute son action.