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méfiance, je pensais qu’après avoir conté ma vie, je l’aurais débarrassée de tout caractère anecdotique : elle m’apparaîtrait dans son élan. J’avais besoin d’un double.

Le jeune homme vêtu de noir aux yeux qui se donnaient me plut ; je l’appelai « Bébé » et je lui parlai tous les jours. Je lui contais par le menu chacune de mes minutes et quand il n’était pas là, c’était à lui que désormais je parlais tout bas. Chaque chose ne prenait vraiment sa valeur et sa saveur qu’après que je la lui avais exposée : non que je le prisse pour guide, mais il était le point d’où je partais pour agir et réagir. Et je l’aimais comme s’il avait été moi-même. J’aurais voulu le choyer beaucoup ; il m’était très précieux et j’avais peur de le perdre.

Mais, un jour, je sentis que Bébé n’était plus. Il n’avait plus ses habits noirs ; il était entré dans un « milieu » et ne comprenait plus l’homme qui se tenait à l’écart. Pour peu qu’on l’excitât, il aurait crié « taïaut » ; et sa doctrine, fixe désormais, était de vivre médiocre pour être heureux. Il ne voulait plus me suivre. Et mes histoires lui faisaient hausser