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mai̯rta, mi̯arta, tandis que nous écrivons mirta, mairta, myarta. Ayant constaté que i et y sont de même espèce phonologique, on a voulu avoir avant tout le même signe générique (c’est toujours la même idée que la chaîne sonore se compose d’espèces juxtaposées !). Mais cette notation, bien que reposant sur le témoignage de l’oreille, est au rebours du bon sens et efface justement la distinction qu’il importerait de faire. Par là : 1° on confond i, u ouvrants (= y, w) et i, u fermants ; on ne peut, par exemple, faire aucune distinction entre newo et neuo; 2° inversement, on scinde en deux i, u fermants (cf. mirta et mairta). Voici quelques exemples des inconvénients de cette graphie. Soit l’ancien grec dwís et dusí, et d’autre part rhéwō et rheûma : ces deux oppositions se produisent exactement dans les mêmes conditions phonologiques et se traduisent normalement par la même opposition graphique : suivant que le u est suivi d’un phonème plus ou moins ouvert, il devient tantôt ouvrant (w), tantôt fermant (u). Qu’on écrive du̯is, dusi, rheu̯ō, rheu̯ma, et tout est effacé. De même en indo-européen les deux séries māter, mātrai, māteres, mātrsu et sūneu, sūnewai, sūnewes, sūnusu, sont strictement parallèles dans leur double traitement de r d’une part, de u de l’autre ; dans la seconde au moins l’opposition des implosions et des explosions éclate dans l’écriture, tandis qu’elle est obscurcie par la graphie critiquée ici (sūnu̯e, sūneu̯ai, sūneu̯es, sūnusu). Non seulement il faudrait conserver les distinctions faites par l’usage, entre ouvrants et fermants (u : w, etc.), mais on devrait les étendre à tout le système et écrire, par exemple : māter, mātρai, māteρes, mātrsu ; alors le jeu de la syllabation apparaîtrait avec évidence ; les points vocaliques et les limites de syllabes se déduiraient d’eux-mêmes.

Note des éditeurs. — Ces théories éclairent plusieurs problèmes, dont F. de Saussure a touché quelques-uns