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Loin de supprimer les distinctions consacrées par la graphie (y w), nous les gardons soigneusement ; la justification de ce point de vue se trouve plus loin, § 7.

Pour la première fois, nous sommes sortis de l’abstraction ; pour la première fois apparaissent des éléments concrets, indécomposables, occupant une place et représentant un temps dans la chaîne parlée ; on peut dire que P n’était rien sinon une unité abstraite réunissant les caractères communs de et de p᷾, qui seuls se rencontrent dans la réalité, exactement de même que B P M sont réunis dans une abstraction supérieure, les labiales. On parle de P comme on parlerait d’une espèce zoologique ; il y a des exemplaires mâles et femelles, mais pas d’exemplaire idéal de l’espèce. Ce sont ces abstractions que nous avons distinguées et classées jusqu’ici ; mais il était nécessaire d’aller au delà et d’atteindre l’élément concret.

Ce fut une grande erreur de la phonologie de considérer comme des unités réelles ces abstractions, sans examiner de plus près la définition de l’unité. L’alphabet grec était arrivé à distinguer ces éléments abstraits, et l’analyse qu’il suppose était, nous l’avons dit, des plus remarquables ; mais c’était pourtant une analyse incomplète, arrêtée à un certain degré.

En effet qu’est-ce qu’un p, sans autre détermination ? Si on le considère dans le temps, comme membre de la chaîne parlée, ce ne peut être ni p᷾ spécialement, ni , encore moins p͐p᷾, ce groupe étant nettement décomposable ; et si on le prend en dehors de la chaîne et du temps, ce n’est plus qu’une chose qui n’a pas d’existence propre et dont on ne peut rien faire. Que signifie en soi un groupe tel que l + g ? Deux abstractions ne peuvent former un moment dans le temps. Autre chose est de parler de l͐k͐, de l᷾k᷾, de l͐k᷾, de l᷾k͐, et de réunir ainsi les véritables éléments de la parole. L’on voit pourquoi il suffit de deux éléments pour embarrasser la phonologie traditionnelle, et ainsi se trouve démontrée l’impossibilité