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cette quasi-immutabilité, doit-on y voir un caractère inhérent aux racines ? Non ; il se trouve simplement que les langues sémitiques ont moins subi d’altérations phonétiques que beaucoup d’autres et que les consonnes ont été mieux conservées dans ce groupe qu’ailleurs. Il s’agit donc d’un phénomène évolutif, phonétique, et non grammatical ni permanent. Proclamer l’immutabilité des racines, c’est dire qu’elles n’ont pas subi de changements phonétiques, rien de plus ; et l’on ne peut pas jurer que ces changements ne se produiront jamais. D’une manière générale, tout ce que le temps a fait, le temps peut le défaire ou le transformer.

Tout en reconnaissant que Schleicher faisait violence à la réalité en voyant dans la langue une chose organique qui porte en elle-même sa loi d’évolution, nous continuons, sans nous en douter, à vouloir en faire une chose organique dans un autre sens, en supposant que le « génie » d’une race ou d’un groupe ethnique tend à ramener sans cesse la langue dans certaines voies déterminées.

Des incursions que nous venons de faire dans les domaines limitrophes de notre science, il se dégage un enseignement tout négatif, mais d’autant plus intéressant qu’il concorde avec l’idée fondamentale de ce cours : la linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même.