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Chapitre IV

Le témoignage de la langue en anthropologie et en préhistoire

§ 1.

Langue et race.

Le linguiste peut donc, grâce à la méthode rétrospective, remonter le cours des siècles et reconstituer des langues parlées par certains peuples bien avant leur entrée dans l’histoire. Mais ces reconstructions ne pourraient-elles pas nous renseigner en outre sur ces peuples eux-mêmes, leur race, leur filiation, leurs rapports sociaux, leurs mœurs, leurs institutions, etc. ? En un mot, la langue apporte-t-elle des lumières à l’anthropologie, à l’ethnographie, à la préhistoire ? On le croit très généralement ; nous pensons qu’il y a là une grande part d’illusion. Examinons brièvement quelques aspects de ce problème général.

D’abord la race : ce serait une erreur de croire que de la communauté de langue on peut conclure à la consanguinité, qu’une famille de langues recouvre une famille anthropologique. La réalité n’est pas si simple. Il y a par exemple une race germanique, dont les caractères anthropologiques sont très nets : chevelure blonde, crâne allongé, stature élevée, etc. ; le type Scandinave en est la forme la plus parfaite. Pourtant il s’en faut que toutes les populations parlant des langues germaniques répondent à ce signalement ; ainsi les Alémanes, au pied des Alpes, ont un type anthropologique bien différent de celui des Scandinaves. Pour-