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surtout les sujets parlants sont toujours d’accord sur le nombre des éléments. Aussi pouvons-nous dire que dans la forme indo-européenne *ek1wos il n’y avait que cinq éléments distincts, différentiels, auxquels les sujets devaient faire attention.

Le second fait concerne le système de ces éléments phonologiques dans chaque langue. Tout idiome opère avec une gamme de phonèmes dont le total est parfaitement délimité (voir p. 58). Or, en indo-européen, tous les éléments du système apparaissent au moins dans une douzaine de formes attestées par reconstruction, quelquefois dans des milliers. On est donc sûr de les connaître tous.

Enfin, pour connaître les unités phoniques d’une langue il n’est pas indispensable de caractériser leur qualité positive ; il faut les considérer comme des entités différentielles dont le propre est de ne pas se confondre les unes avec les autres (voir p. 164). Cela est si bien l’essentiel qu’on pourrait désigner les éléments phoniques d’un idiome à reconstituer par des chiffres ou des signes quelconques. Dans *ĕk1wŏs, il est inutile de déterminer la qualité absolue de ĕ, de se demander s’il était ouvert ou fermé, articulé plus ou moins en avant, etc. ; tant qu’on n’aura pas reconnu plusieurs sortes de ĕ, cela reste sans importance, pourvu qu’on ne le confonde pas avec un autre des éléments distingués de la langue (ă, ŏ, ĕ, etc.). Cela revient à dire que le premier phonème de *ĕk1wŏs ne différait pas du second de *mĕdhyŏs, du troisième de *ăgĕ, etc., et qu’on pourrait, sans spécifier sa nature phonique, le cataloguer et le représenter par son numéro dans le tableau des phonèmes indo-européens. Ainsi la reconstruction de *ĕk1wŏs veut dire que le correspondant indo-européen de latin equos, sanscrit açva-s, etc., était formé de cinq phonèmes déterminés pris dans la gamme phonologique de l’idiome primitif.

Dans les limites que nous venons de tracer, nos reconstitutions conservent donc leur pleine valeur.