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Chapitre IV

Propagation des ondes linguistiques

§ 1.

La force d’intercourse[1] et l’esprit de clocher.

La propagation des faits de langue est soumise aux mêmes lois que n’importe quelle habitude, la mode par exemple. Dans toute masse humaine deux forces agissent sans cesse simultanément et en sens contraires : d’une part l’esprit particulariste, l’ « esprit de clocher » ; de l’autre, la force d’ « intercourse », qui crée les communications entre les hommes.

C’est par l’esprit de clocher qu’une communauté linguistique restreinte reste fidèle aux traditions qui se sont développées dans son sein. Ces habitudes sont les premières que chaque individu contracte dans son enfance ; de là leur force et leur persistance. Si elles agissaient seules, elles créeraient en matière de langage des particularités allant à l’infini.

Mais leurs effets sont corrigés par l’action de la force opposée. Si l’esprit de clocher rend les hommes sédentaires, l’intercourse les oblige à communiquer entre eux. C’est lui qui amène dans un village les passants d’autres localités, qui déplace une partie de la population à l’occa-

  1. Nous avons cru pouvoir conserver cette pittoresque expression de l’auteur, bien qu’elle soit empruntée à l’anglais (intercourse, prononcez interkors, « relations sociales, commerce, communications »), et qu’elle se justifîe moins dans l’exposé théorique que dans l’explication orale (Ed.).