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des rapports très étroits avec l’italique ; celui-ci est intermédiaire entre le celtique et le grec, si bien que, sans connaître la position géographique de tous ces idiomes, un linguiste pourrait sans hésitation assigner à chacun d’eux celle qui lui revient. Et cependant, dès que nous considérons une frontière entre deux groupes d’idiomes, par exemple la frontière germano-slave, il y a un saut brusque, sans aucune transition ; les deux idiomes se heurtent au lieu de se fondre l’un dans l’autre. C’est que les dialectes intermédiaires ont disparu. Ni les Slaves, ni les Germains ne sont restés immobiles ; ils ont émigré, conquis des territoires aux dépens les uns des autres ; les populations slaves et germaniques qui voisinent actuellement ne sont pas celles qui étaient autrefois en contact. Supposez que les Italiens de la Calabre viennent se fixer aux confins de la France ; ce déplacement détruirait naturellement la transition insensible que nous avons constatée entre l’italien et le français ; c’est un ensemble de faits analogues que nous présente l’indo-européen.

Mais d’autres causes encore contribuent à effacer les transitions, par exemple l’extension des langues communes aux dépens des patois (voir p. 267 sv.). Aujourd’hui le français littéraire (l’ancienne langue de l’Île-de-France) vient se heurter à la frontière avec l’italien officiel (dialecte toscan généralisé), et c’est une bonne fortune qu’on puisse encore trouver des patois de transition dans les Alpes occidentales, alors que sur tant d’autres frontières linguistiques tout souvenir de parlers intermédiaires a été effacé.