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l’anglais, résultat de deux colonisations successives ; c’est de la même façon que l’espagnol s’est implanté au Mexique. Il ne faudrait pas croire que les empiétements linguistiques de ce genre soient spéciaux à l’époque moderne. De tout temps on a vu des nations se mélanger sans confondre leurs idiomes. Il suffit, pour s’en rendre compte, de jeter les yeux sur la carte de l’Europe actuelle : en Irlande on parle le celtique et l’anglais ; beaucoup d’irlandais possèdent les deux langues. En Bretagne on pratique le breton et le français ; dans la région basque on se sert du français ou de l’espagnol en même temps que du basque. En Finlande le suédois et le finnois coexistent depuis assez longtemps ; le russe est venu s’y ajouter plus récemment ; en Courlande et en Livonie on parle le lette, l’allemand et le russe ; l’allemand, importé par des colons venus au moyen âge sous les auspices de la ligue hanséatique, appartient à une classe spéciale de la population ; le russe y a ensuite été importé par voie de conquête. La Lituanie a vu s’implanter à côté du lituanien le polonais, conséquence de son ancienne union avec la Pologne, et le russe, résultat de l’incorporation à l’empire moscovite. Jusqu’au xviiie siècle, le slave et l’allemand étaient en usage dans toute la région orientale de l’Allemagne à partir de l’Elbe. Dans certains pays la confusion des langues est plus grande encore ; en Macédoine on rencontre toutes les langues imaginables : le turc, le bulgare, le serbe, le grec, l’albanais, le roumain, etc., mêlés de façons diverses suivant les régions.

Ces langues ne sont pas toujours absolument mélangées ; leur coexistence dans une région donnée n’exclut pas une relative répartition territoriale. Il arrive, par exemple, que de deux langues l’une est parlée dans les villes, l’autre dans les campagnes ; mais cette répartition n’est pas toujours nette.

Dans l’antiquité, mêmes phénomènes. Si nous possédions la carte linguistique de l’Empire romain, elle nous