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rées entre elles et parfois des filiations plus vastes et plus anciennes se font jour. On a voulu trouver des analogies entre le finno-ougrien[1] et l’indo-européen, entre ce dernier et le sémitique, etc. Mais les comparaisons de ce genre se heurtent vite à des barrières infranchissables. Il ne faut pas confondre ce qui peut être et ce qui est démontrable. La parenté universelle des langues n’est pas probable, mais fût-elle vraie — comme le croit un linguiste italien, M. Trombetti[2] — elle ne pourrait pas être prouvée, à cause du trop grand nombre de changements intervenus.

Ainsi à côté de la diversité dans la parenté, il y a une diversité absolue, sans parenté reconnaissable ou démontrable. Quelle doit être la méthode de la linguistique dans l’un et l’autre cas ? Commençons par le second, le plus fréquent. Il y a, comme on vient de le dire, une multitude infinie de langues et de familles de langues irréductibles les unes aux autres. Tel est, par exemple, le chinois à l’égard des langues indo-européennes. Cela ne veut pas dire que la comparaison doive abdiquer ; elle est toujours possible et utile ; elle portera aussi bien sur l’organisme grammatical et sur les types généraux de l’expression de la pensée que sur le système des sons ; on comparera de même des faits d’ordre diachronique, l’évolution phonétique de deux langues, etc. A cet égard les possibilités, bien qu’en nombre incalculable, sont limitées par certaines données constantes, phoniques et psychiques, à l’intérieur desquelles toute langue doit se constituer ; et réciproquement, c’est la découverte de ces données constantes qui est

  1. Le finno-ougrien, qui comprend entre autres le finnois proprement dit ou suomi, le mordvin, le lapon, etc., est une famille de langues parlées dans la Russie septentrionale et la Sibérie, et remontant certainement à un idiome primitif commun ; on la rattache au groupe très vaste des langues dites ouralo-altaïques, dont la communauté d’origine n’est pas prouvée, malgré certains traits qui se retrouvent dans toutes (Éd.).
  2. Voir son ouvrage L’unita d’origine del linguaggio, Bologna, 1905, (Éd.).