Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/253

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serve sa valeur propre ; mais en dernier ressort celle des sujets importe seule, car elle est fondée directement sur les faits de langue.

L’analyse historique n’en est qu’une forme dérivée. Elle consiste au fond à projeter sur un plan unique les constructions des différentes époques. Comme la décomposition spontanée, elle vise à connaître les sous-unités qui entrent dans un mot, seulement elle fait la synthèse de toutes les divisions opérées au cours du temps, en vue d’atteindre la plus ancienne. Le mot est comme une maison dont on aurait changé à plusieurs reprises la disposition intérieure et la destination. L’analyse objective totalise et superpose ces distributions successives ; mais pour ceux qui occupent la maison, il n’y en a jamais qu’une. L’analyse hípp-o-s, examinée plus haut, n’est pas fausse, puisque c’est la conscience des sujets qui l’a établie ; elle est simplement « anachronique », elle se reporte à une autre époque que celle où elle prend le mot. Ce hípp-o-s ne contredit pas le hípp-os du grec classique, mais il ne faut pas le juger de la même façon. Cela revient à poser une fois de plus la distinction radicale du diachronique et du synchronique.

Et ceci permet au surplus de résoudre une question de méthode encore pendante en linguistique. L’ancienne école partageait les mots en racines, thèmes, suffixes, etc., et donnait à ces distinctions une valeur absolue. À lire Bopp et ses disciples, on croirait que les Grecs avaient apporté avec eux depuis un temps immémorial un bagage de racines et de suffixes, et qu’ils s’occupaient à confectionner leurs mots en parlant, que patḗr, par exemple, était pour eux rac. pa+suff. ter, que dṓsō dans leur bouche représentait la somme de + so + une désinence personnelle, etc.

On devait nécessairement réagir contre ces aberrations, et le mot d’ordre, très juste, de cette réaction, fut : observez ce qui se passe dans les langues d’aujourd’hui, dans le langage de tous les jours, et n’attribuez aux périodes