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qu’une (cf. hḗd-isto-s, de *swād-is-to-s,). Au contraire l’analogie part d’unités inférieures pour en faire une unité supérieure. Pour créer pāg-ānus, elle a uni un radical pāg- et un suffixe -ānus.

2° L’agglutination opère uniquement dans la sphère syntagmatique ; son action porte sur un groupe donné ; elle ne considère pas autre chose. Au contraire l’analogie fait appel aux séries associatives aussi bien qu’aux syntagmes.

3° L’agglutination n’offre surtout rien de volontaire, rien d’actif ; nous l’avons déjà dit : c’est un simple processus mécanique, où l’assemblage se fait tout seul. Au contraire, l’analogie est un procédé, qui suppose des analyses et des combinaisons, une activité intelligente, une intention.

On emploie souvent les termes de construction et de structure à propos de la formation des mots ; mais ces termes n’ont pas le même sens selon qu’ils s’appliquent à l’agglutination ou à l’analogie. Dans le premier cas, ils rappellent la cimentation lente d’éléments qui, en contact dans un syntagme, ont subi une synthèse pouvant aller jusqu’au complet effacement de leurs unités originelles. Dans le cas de l’analogie, au contraire, construction veut dire agencement obtenu d’un seul coup, dans un acte de parole, par la réunion d’un certain nombre d’éléments empruntés à diverses séries associatives.

On voit combien il importe de distinguer l’un et l’autre mode de formation. Ainsi en latin possum n’est pas autre chose que la soudure de deux mots potis sum « je suis le maître » : c’est un agglutiné ; au contraire, signifer, agricola, etc., sont des produits de l’analogie, des constructions faites sur des modèles fournis par la langue. C’est aux créations analogiques seules qu’il faut réserver les termes de composés et de dérivés[1].

  1. Ceci revient à dire que ces deux phénomènes combinent leur action dans l’histoire de la langue ; mais l’agglutination précède toujours, et c’est elle qui fournit des modèles à l’analogie. Ainsi le type de composés