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elle-même un fait d’évolution, elle reflète de moment en moment les changements intervenus dans l’économie de la langue et les consacre par des combinaisons nouvelles. Elle est la collaboratrice efficace de toutes les forces qui modifient sans cesse l’architecture d’un idiome, et à ce titre elle est un puissant facteur d’évolution.

§ 3.

L’analogie principe de rénovation et de conservation.

On est parfois tenté de se demander si l’analogie a vraiment l’importance que lui supposent les développements précédents, et si elle a une action aussi étendue que les changements phonétiques. En fait l’histoire de chaque langue permet de découvrir une fourmillement de faits analogiques accumulés les uns sur les autres, et, pris en bloc, ces continuels remaniements jouent dans l’évolution de la langue un rôle considérable, plus considérable même que celui des changements de sons.

Mais une chose intéresse particulièrement le linguiste : dans la masse énorme des phénomènes analogiques que représentent quelques siècles d’évolution, presque tous les éléments sont conservés ; seulement ils sont distribués autrement. Les innovations de l’analogie sont plus apparentes que réelles. La langue est une robe couverte de rapiéçages faits avec sa propre étoffe. Les quatre cinquièmes du français sont indo-européens, si l’on pense à la substance dont nos phrases se composent, tandis que les mots transmis dans leur totalité, sans changement analogique, de la langue mère jusqu’au français moderne, tiendraient dans l’espace d’une page (par exemple : est = *esti, les noms de nombres, certains vocables, tels que ours, nez, père, chien, etc.), L’immense majorité des mots sont, d’une manière ou d’une autre, des combinaisons nouvelles d’éléments phoniques arrachés à des formes plus anciennes. Dans ce sens, on peut dire que l’analogie, précisément