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Chapitre V

Analogie et évolution

§ 1.

Comment une innovation analogique entre dans la langue.

Rien n’entre dans la langue sans avoir été essayé dans la parole, et tous les phénomènes évolutifs ont leur racine dans la sphère de l’individu. Ce principe, déjà énoncé p. 138, s’applique tout particulièrement aux innovations analogiques. Avant que honor devienne un concurrent susceptible de remplacer honōs, il a fallu qu’un premier sujet l’improvise, que d’autres l’imitent et le répètent, jusqu’à ce qu’il s’impose à l’usage.

Il s’en faut que toutes les innovations analogiques aient cette bonne fortune. À tout instant on rencontre des combinaisons sans lendemain que la langue n’adoptera probablement pas. Le langage des enfants en regorge, parce qu’ils connaissent mal l’usage et n’y sont pas encore asservis ; ils disent viendre pour venir, mouru pour mort, etc. Mais le parler des adultes en offre aussi. Ainsi beaucoup de gens remplacent trayait par traisait (qui se lit d’ailleurs dans Rousseau). Toutes ces innovations sont en soi parfaitement régulières ; elles s’expliquent de la même façon que celles que la langue a acceptées ; ainsi viendre repose sur la proportion ;

éteindrai : éteindre = viendrai : x.
x = viendre,