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tout de suite que la création qui en est l’aboutissement ne peut appartenir d’abord qu’à la parole ; elle est l’œuvre occasionnelle d’un sujet isolé. C’est dans cette sphère, et en marge de la langue, qu’il convient de surprendre d’abord le phénomène. Cependant il faut y distinguer deux choses : 1° la compréhension du rapport qui relie entre elles les formes génératrices ; 2° le résultat suggéré par la comparaison, la forme improvisée par le sujet parlant pour l’expression de la pensée. Seul ce résultat appartient à la parole.

L’analogie nous apprend donc une fois de plus à séparer la langue de la parole (voir p. 36 sv.) ; elle nous montre la seconde dépendant de la première et nous fait toucher du doigt le jeu du mécanisme linguistique, tel qu’il est décrit p. 179. Toute création doit être précédée d’une comparaison inconsciente des matériaux déposés dans le trésor de la langue où les formes génératrices sont rangées selon leurs rapports syntagmatiques et associatifs.

Ainsi toute une partie du phénomène s’accomplit avant qu’on voie apparaître la forme nouvelle. L’activité continuelle du langage décomposant les unités qui lui sont données contient en soi non seulement toutes les possibilités d’un parler conforme à l’usage, mais aussi toutes celles des formations analogiques. C’est donc une erreur de croire que le processus générateur ne se produit qu’au moment où surgit la création ; les éléments en sont déjà donnés. Un mot que j’improvise, comme in-décor-able, existe déjà en puissance dans la langue ; on retrouve tous ses éléments dans les syntagmes tels que décor-er, décor-ation : pardonn-able, mani-able : in-connu, in-sensé, etc., et sa réalisation dans la parole est un fait insignifiant en comparaison de la possibilité de le former.

En résumé, l’analogie, prise en elle-même, n’est qu’un aspect du phénomène d’interprétation, une manifestation de l’activité générale qui distingue les unités pour les utiliser