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et déclarer que entourer et ajourer sont des modifications de ces mots plus anciens ? Ainsi l’illusion du « changement » analogique vient de ce qu’on établit une relation avec un terme évincé par le nouveau : mais c’est une erreur, puisque les formations qualifiées de changements (type honor) sont de même nature que celles que nous appelons créations (type répressionnaire).

§ 3.

L’analogie principe des créations de la langue.

Si après avoir montré ce que l’analogie n’est pas, nous l’étudions à un point de vue positif, aussitôt il apparaît que son principe se confond tout simplement avec celui des créations linguistiques en général. Quel est-il ?

L’analogie est d’ordre psychologique ; mais cela ne suffit pas à la distinguer des phénomènes phonétiques, puisque ceux-ci peuvent être aussi considérés comme tels (voir p. 208). Il faut aller plus loin et dire que l’analogie est d’ordre grammatical : elle suppose la conscience et la compréhension d’un rapport unissant les formes entre elles. Tandis que l’idée n’est rien dans le phénomène phonétique, son intervention est nécessaire en matière d’analogie.

Dans le passage phonétique de s intervocalique à r en latin (cf. honōsemhonōrem), on ne voit intervenir ni la comparaison d’autres formes, ni le sens du mot : c’est le cadavre de la forme honōsem qui passe à honōrem. Au contraire, pour rendre compte de l’apparition de honor en face de honōs, il faut faire appel à d’autres formes, comme le montre la formule de la quatrième proportionnelle :

ōrātōrem : ōrātor = honōrem : x
x = honor,


et cette combinaison n’aurait aucune raison d’être si l’esprit n’associait pas par leur sens les formes qui la composent.

Ainsi tout est grammatical dans l’analogie ; mais ajoutons