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est partie uniquement de la première personne du singulier de l’actif et a gagné presque tout le paradigme du parfait indicatif. Ce cas est remarquable en outre parce qu’ici l’analogie rattache au radical un élément -a-, flexionnel à l’origine, d’où pepheúga-men ; l’inverse — élément radical rattaché au suffixe — est, comme nous le verrons p. 233, beaucoup plus fréquent.

Souvent, deux ou trois mots isolés suffisent pour créer une forme générale, une désinence, par exemple ; en vieux haut allemand, les verbes faibles du type habēn, lobōn, etc., ont un -m à la première pers. sing. du présent : habēm, lobōm ; cet -m remonte à quelques verbes analogues aux verbes en -mi du grec : bim, stām, gēm, tuom, qui à eux seuls ont imposé cette terminaison à toute la flexion faible. Remarquons qu’ici l’analogie n’a pas effacé une diversité phonétique, mais généralisé un mode de formation.

§ 2.

Les phénomènes analogiques ne sont pas des changements

Les premiers linguistes n’ont pas compris la nature du phénomène de l’analogie, qu’ils appelaient « fausse analogie ». Ils croyaient qu’en inventant honor le latin « s’était trompé » sur le prototype honōs. Pour eux, tout ce qui s’écarte de l’ordre donné est une irrégularité, une infraction à une forme idéale. C’est que, par une illusion très caractéristique de l’époque, on voyait dans l’état originel de la langue quelque chose de supérieur et de parfait, sans même se demander si cet état n’avait pas été précédé d’un autre. Toute liberté prise à son égard était donc une anomalie. C’est l’école néogrammairienne qui a pour la première fois assigné à l’analogie sa vraie place en montrant qu’elle est, avec les changements phonétiques, le grand facteur de l’évolution des langues, le procédé par lequel elles passent d’un état d’organisation à un autre.